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Réserve en eau du sol et mobilisation par les racines

Qu’est ce que la réserve en eau du sol ? Quelle est l’unité de cette grandeur ?

La réserve en eau du sol se définit comme le volume d’eau contenu dans le sol à un instant donné. Ce volume, ou stock d’eau, est généralement exprimé en épaisseur de lame d’eau (en mm), pour être facilement comparé aux pluies et à l’évapotranspiration. C’est une grandeur dynamique qui évolue au cours du temps, sous l’action conjointe des précipitations et de l’évapotranspiration. Cependant toute l’eau contenue dans le sol n’est pas utilisable par la végétation, soit parce que les racines ne colonisent pas tout le volume de sol, soit parce que l’eau est trop fortement retenue par le sol pour être extraite par les racines.

Qu’est ce que la réserve utile d’un sol ?

Courbe de rentention d'un horizon argilo-limoneux
Un exemple de courbe de rétention d’un horizon argilo-limoneux (appelée aussi courbe pF-humidité). Les fortes valeurs de pF correspondent aux faibles humidités des sols.
La réserve utile (RU) correspond à la fraction de la réserve qui est exploitable par la plante, c'est-à-dire la fraction accessible par les racines et absorbable par leur succion. Elle est exprimée en millimètres. C’est une variable d’état, qui dépend des propriétés physico-chimiques du sol, de sa composition granulométrique, de l’arrangement des particules de sol et de la distribution de la porosité. L’eau utilisable par les plantes est égale au volume d’eau emmagasiné par la tranche de sol explorée par les racines entre deux états hydriques caractéristiques : la capacité au champ (l’eau que peut retenir le sol après écoulement de l’eau gravitaire, ou ressuyage) et le point de flétrissement permanent (au-delà duquel le végétal ne peut plus extraire l’eau). Cette quantité d’eau disponible par la plante est déterminée rigoureusement au laboratoire par l’établissement de courbes de rétention en eau (dites aussi courbes pF-humidité) sur des échantillons de sols non remaniés prélevés dans chaque horizon (cylindres ou mottes). Cette méthode est recommandée pour une évaluation de réserve utile précise sur un sol donné. A défaut, il existe des tables de coefficients (cf. table ci-dessous) ou des fonctions permettant d’estimer l’humidité massique du sol à ces états caractéristiques à partir de propriétés plus ou moins complexes (texture, teneur en carbone, densité, capacité d’échange cationique …). Attention, il existe assez peu de telles fonctions calibrées spécifiquement pour les sols forestiers. L’utilisation de fonctions de pédotransfert construites sur des sols agricoles peut conduire à des biais.

Comment mesurer l’état hydrique et la réserve en eau du sol ?

L’état hydrique d’un sol peut être caractérisé in situ par l’état de liaison de l’eau (succion, qu’on appelle potentiel hydrique) ou par la quantité d’eau qu’il contient (humidité). Le suivi dans le temps de l'humidité du sol peut être réalisé directement par gravimétrie (humidité pondérale d’échantillons de sol), ou indirectement en utilisant des relations entre propriétés physiques ou chimiques des sols et leur teneur en eau. L’humidité volumique peut ainsi être déterminée par mesures neutroniques, de conductivité électrique ou de la constante diélectrique du sol. L’état de liaison de l’eau se quantifie par le potentiel hydrique du sol, négatif lorsque l’eau est sous tension et nul lorsque l’eau est libre. La lame d’eau (en mm) d’une couche de sol est égale au produit de son humidité volumique exprimée en % par son épaisseur (en décimètre). Le stock d’eau dans le sol est calculé comme la somme des lames d’eau de chaque couche de sol. Cependant, tout le stock d’eau n’est pas mobilisable par les systèmes racinaires ; celui-ci n’est donc jamais égal à zéro même en condition de sécheresse sévère : l’eau de constitution, très fortement liée aux particules de sol, n’est pas extractible par les racines. De très nombreuses mesures d’humidité du sol sur les épaisseurs importantes ont été réalisées par notre équipe avant de développer la modélisation des bilans hydriques forestiers. Ces longues séries de mesures ont permis de valider les estimations produites par Biljou© dès 1999.

 
Tarière pédologique

Tarrière pédologique : un prélèvement de sol pesé frais puis séché à l’étuve à 105°C permet de déterminer sa teneur en eau massique

Deux exemples d’équipements de mesure de la teneur en eau volumique par réflectométrie dans le domaine temporel (TDR), soit avec des guides d’ondes insérés dans le sol (à gauche : modèle Trase) soit en déplacement de la sonde dans un tube d’accès (à droite, modèle Trime)

Guides d'ondes pour mesure de la teneur en eau volumique
Sonde à neutrons

Sonde à neutrons (Troxler) : permet de mesurer la teneur en eau volumique de manière répétée au cours du temps à différentes profondeurs à l’aide du déplacement de la sonde dans un tube d’accès

 

Comment évaluer la réserve utile d’un sol ?

1. Déterminer l’épaisseur totale de sol explorée par les racines fines. C’est la première source d’imprécision à laquelle se heurte le praticien, forestier en particulier. Une observation sur front de fosse est souvent utile. En absence d’obstacle évident (dalle, charge en cailloux …) la profondeur prospectée par des arbres forestiers adultes est souvent d’au moins de 2 m.

CCartographie racinaire

Cartographie de la distribution des racines fines, réalisée par comptage des racines sur un front de fosse à l’aide d’une grille à maille de 10 cm x 10 cm. Les couleurs sur la carte illustrent les densités de racines.



2. Distinguer les couches (horizon) du sol se différenciant par leur texture, leur charge en éléments grossiers, leur structure, trois éléments majeurs contrôlant la distribution de la porosité. Pour Biljou©, il est important aussi de définir les limites de couches en fonction de la distribution des racines fines, donc des contraintes physiques affectant leur répartition verticale. Une couche dans Biljou© est un compartiment à fonctionnement hydrodynamique homogène exploité par les racines fines. Une fois les différentes limites de couches repérées, il peut être utile d’effectuer un prélèvement de terre fine en vue d’une analyse granulométrique pour déterminer la texture. Celle-ci doit être sinon appréciée tactilement. Idéalement, c’est à cette étape qu’il convient de prélever des échantillons de sol non remaniés pour établir en laboratoire les courbes pF-humidité du sol étudié.

3. Evaluer l’eau utile de chaque couche en millimètre (mm), comprise entre les humidités en % à la capacité au champ et au point de flétrissement permanent. A défaut de courbes de rétention pour le sol étudié, l’eau utile peut être estimée à l’aide de tables (exemple ci-dessous).
Classe de texture (selon le triangle de Jamagne) Humidité % à la capacité au champ (pF=2.5) Huminité % au point de flétrissement permanent(pF=4.2) Eau utile (g d’eau pour 100 g de sol) Densité apparente (sans dimension) Réservoir utilisable (mm d’eau par cm de sol)
S8351.350.7
SL12571.401.0
SA191091.501.35
LlS15781.501.20
LS199101.451.45
LmS209111.451.60
LSA2211111.501.65
LAS2412121.451.75
Ll17891.451.30
Lm2310131.351.75
LA2713141.401.95
AS3322111.551.70
A3725121.451.75
AL3219131.401.80
A lourde2918111.501.65

Tableau des réservoirs en eau selon les textures, Service de cartographie des sols de l’Aisne, Jamagne et al., 1977 ; in Baize et Jabiol, 1995).



4. Evaluer la densité apparente de chaque couche ; celle-ci peut se mesurer sur fosse à l’aide de cylindres de volumes connus ; elle peut aussi être extraite de tables (exemple ci-dessus). Attention toutefois, les densités apparentes de sols forestiers sont souvent assez éloignées de celles des sols agricoles : celles des sols forestiers sont plus faibles en surface qu’en agriculture, en raison d’une forte teneur en matière organique et d’une bonne activité biologique. En revanche, les sols forestiers sont parfois plus denses en profondeur que les sols agricoles travaillés mécaniquement et aussi plus profonds. La densité apparente est une fonction croissance avec la profondeur.

5. Apprécier la charge en éléments grossiers (en % du volume de sol).

6. Calculer la réserve utile de chaque couche : eau utile x densité apparente x (100-% éléments grossiers)/100

7. Sommer les valeurs obtenues sur l’ensemble du profil exploité par les racines

Comment l’eau du sol est absorbée par les racines ?

Pour extraire l’eau du sol, les arbres exercent une succion équivalente au potentiel hydrique, provoquée par un gradient de potentiels entre les feuilles et le sol au cours de la transpiration, une succion forte correspondant à un potentiel hydrique très négatif. L’absorption de l’eau dans le réservoir du sol est assurée par les racines fines non subérisées, souvent associées à des champignons mycorhiziens permettant de « drainer » l’eau vers la racine.

 
Racines fines et mycorhize

Racines fines et mycorhize de lactaire en chênaie observées dans un sol forestier à l’aide d’un endoscope (photo N Bréda, 2008)

Hyphes extramatriciels d’un champignon mycorhizien

Les hyphes extramatriciels d’un champignon mycorhizien se répandent largement dans le sol et augmentent la surface d’absorption d’eau et d’éléments nutritifs. Observations sous chêne dans un sol forestier à l’aide d’un endoscope (photo N Bréda, 2008)

 


L'efficacité du système racinaire dépend : 1) de son extension spatiale, en particulier en profondeur, 2) de ses capacités de prélèvement à des potentiels hydriques très négatifs (eau fortement liée à la microporosité du sol), 3) de ses potentialités de croissance en longueur, notamment en phase de réhumectation après une sécheresse. Le trajet de l'eau (et des solutés) entre le sol et l’intérieur de l’arbre est régi par des lois biophysiques bien établies, qui font appel aux principes de la diffusion en phase liquide dans les milieux poreux et aux mécanismes osmotiques. Ce trajet se décompose en trois étapes :


Coupe anatomique d'une racine

Coupe anatomique d'une racine.

Comment la réserve en eau du sol est-elle mobilisée par les arbres ?

Lorsque le sol est humide, l’eau occupe les macropores et est facile à mobiliser par des succions faibles ; l’absorption se produit de manière proportionnelle à la distribution des racines fines. Dans cette situation, les horizons de surface fournissent davantage d’eau aux arbres que les horizons profonds, puisque la majorité des racines s’y trouvent. Au cours du dessèchement du sol, les prélèvements se répartissent ensuite sur tout le profil enraciné, puis se limitent plus en profondeur, là où la rétention de l’eau est moins forte. Enfin, en période de sécheresse édaphique intense, seules les couches enracinées les plus profondes peuvent encore fournir de l’eau aux plantes. C’est alors les quelques pourcents de racines fines profondes qui assureront l’intégralité des prélèvements. La contribution de chaque horizon de sol à l’alimentation hydrique des arbres est donc variable au cours de la saison en fonction de la facilité d’extraction de l’eau.

Evolution du prélèvement d’eau dans des différentes couches de sol

Evolution du prélèvement d’eau dans des différentes couches de sol lorsque la sécheresse progresse, dans une frênaie. Les mesures ont été réalisées au moyen d’un humidimètre neutronique. A droite, distribution des racines fines dans les différentes couches du sol du même peuplement. (d’après Bréda et al., 2002)

Quelques chiffres clés

Distribution des réserves utiles de placettes forestières du réseau RENECOFOR

La figure ci-contre illustre la distribution des réserves utiles de placettes forestières du réseau RENECOFOR. Cette estimation a été réalisée à partir de descriptions de sol et de profondeur d’enracinement sur fosses, la texture et la charge en éléments grossiers ont été évalués, puis des coefficients texturaux ont été appliqués

 

Références utiles

Badeau V, Ulrich E (2008) : RENECOFOR - Etude critique de faisabilité sur : la comparabilité des données météorologiques « RENECOFOR » avec celles de Météo France, l’estimation de la réserve utile en eau du sol et le calcul des volumes d’eau drainée en vue du calcul de bilans minéraux sur les placettes du sous-réseau CATAENAT. Editeur : Office National des Forêts, Direction Technique et Commercial Bois, ISBN 978 – 2 – 84207 – 323 – 7, 108 p. et 166 pages annexes.

Badeau V, Bréda N (2008) Modélisation du bilan hydrique : étape clé de la détermination des paramètres et des variables d’entrée. RDV techniques hors-série n°4 – ONF.

Bréda N, Lefèvre Y, Badeau V (2002) Réservoir en eau des sols forestiers tempérés : spécificité et difficultés d’évaluation. La Houille Blanche, 3-2002, Forêts et Eau, 25-40

Brethes A, Ulrich E (coordinateurs) (1997) RENECOFOR - Caractéristiques pédologiques des 102 peuplements du réseau. Editeur : Office National des Forêts, Département des Recherches Techniques, ISBN 2 – 84207 – 112 3, 573 p.

Quentin C, Bigorre F, Bréda N, Granier A, Teissier D (2001) Etude des sols de la foret de Hesse (Lorraine). Contribution a l'étude du bilan hydrique. Etude et gestion des sols 8: 279-292.

Garbaye J, Guehl J M (1997) Le rôle des ectomycorhizes dans l'utilisation de l'eau par les arbres forestier. Revue Forestière Française, XLIX n°sp 1997, 110-120.

Bréda N, Zapater M, Barlet C, Lefèvre Y, Granier A (2008) Une pompe biologique performante : contribution des racines fines des arbres forestiers dans le dessèchement des couches argileuses du sol lors d'épisodes de sécheresse. In: SEC2008-Volume 1, International Symposium Drought and construction, Magnan J. P., Cojean R., Cui Y.J eds, Laboratoire Central des Ponts et Chaussées, Marne-La-Vallée, 103-111.

Bréda N, Granier A, Barataud F, Moyne C (1995) Soil water dynamics in an oak stand. Plant and Soil 172(1): 17-27.

Cermak J, Prax A (2001) Water balance of a Southern Moravian floodplain forest under natural and modified soil water regimes and its ecological consequences. Annals of Forest Science 58(1): 15-29.

Rambal S (1984) Water Balance and Pattern of Root Water Uptake by a Quercus Coccifera L. Evergreen Scrub. Oecologia 62: 18-25.

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